"Le présent  est grand de l'avenir"
Leibniz

 
 
 

Questions aux vrais maîtres du Monde
 
 

2ème partie



Mais, l'essentiel est que les préoccupations commerciales et, en particulier, la recherche du profit maximum à court terme s'imposent de plus en plus et de plus en plus largement à l'ensemble des productions culturelles.

Ainsi, dans le domaine de l'édition de livres que j'ai étudié de près, les stratégies des éditeurs, et spécialement des responsables des grands groupes, sont orientées vers le succès commercial.

C'est là qu'il faudrait commencer à poser des questions. J'ai parlé à l'instant de productions culturelles.... Est elle encore possible aujourd'hui, et sera t il encore longtemps possible de parler de productions culturelles et de culture ?

Ceux qui font le nouveau monde de la communication et qui sont faits par lui aiment à  évoquer le problème de la vitesse, des flux d'informations et des transactions qui deviennent de plus en plus rapides et  ils ont sans doute partiellement raison quand ils pensent à la circulation de l'information et à  la rotation des produits.

Cela dit, la logique de la vitesse et celle du profit qui se réunissent dans la poursuite du profit maximum à court terme (avec l'audimat pour la télévision, le succès de vente pour le livre - et bien évidemment, le jounal, le nombre d'entrée de films) me paraissent incompatibles avec l'idée de Culture.

Quand, comme le disait E. Gombrich : "les conditions de l'Art" sont détruites, l'Art et la Culture ne tardent pas à mourir.

Pour preuve, je pourrais, me contenter de mentionner ce qu'il est advenu du cinéma  Italien, qui fut un des meilleurs du monde qui ne survit  plus qu'à travers une petite poignée de Cinéastes, ou du cinéma allemand, ou du cinéma d'Europe de l'Est. Ou, la crise que connaît  partout le cinéma d'auteur....(....)

Mais on ne peut comprendre vraiment ce que signifie la réduction de la Culture à l'état de produit commercial que si l'on rappelle comment se sont constitués les univers de production des oeuvres que nous considérons comme universelles dans le domaine des arts plastiques, de la littérature ou du cinéma.

Toutes ces oeuvres qui sont exposées dans les musées, tous ces ouvrages de littérature devenus classiques, tous ces films conservés dans les cinémathèques, sont le produit d'univers sociaux qui se sont constitués peu à peu en s'affranchissant des loins du monde ordinaire, et en particulier, de  la logique du profit.....(....)

Il est vrai que que les forces de la technologie alliées avec les forces de l'économie, la loi du profit et de la concurrence, menacent la culture, (.....)
Mais, il  ne faut pas opposer pour cela, une "Mondialisation" et un mondialisme, liés respectivement  à l'économie, au progrès, à la modernité ou à un nationalisme comme une lutte entre une puissance commerciale visant à étendre les intérêts particuliers du commerce, de ceux qui le domine et une résistance culturelle fondée sur la défense des oeuvres universelles produites par l'internationale dénationalisée des créateurs. (....)
 

On pourrait dire que j'ai essayé de perpétuer ici, très modestement, mais très fidèlement, la tradition de distance à l'égard des pouvoirs et tout spécialement, de ces nouveaux pouvoirs que sont les puissances conjuguées de l'argent et des médias.
  


Pierre Bourdieu est professeur au collège de France, en la Chaire de Sociologie.


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Si vous êtes interessé par l'intégralité de ce discours
présenté par P. Bourdieu,
édité dans le Journal : "LE MONDE", précédé d'un édito :
n'hésitez pas à les demander.

Si vous êtes interessé(e)s pour commenter ou donnez des impressions,
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