Quels projets, quels complots se tramaient derrière les portes
closes du palais ?
Avec crainte, tous se le demandaient, quand un tumulte
frappa leurs oreilles, un grand bruit de charroi et de cris.
Un char entra dans la cour du palais ; le Roi
s'y trouvait et à côté de lui, une jeune fille très belle mais d'aspect très
étrange.
Les serviteurs et le peuple suivaient et quand le cortège
s'arrêta, les portes de la grande maison s'ouvrirent et la Reine apparut. Le Roi mit pied à terre,
priant tout haut :
"O victoire, mienne à
présent, sois mienne à jamais".
Sa femme se porta à sa rencontre. Son visage
était radieux, sa tête haute.
Elle savait que, sauf le seul Agamemnon, tous
les hommes présents connaissaient son infidélité ; mais elle leur fit front et les lèvres
souriantes, elle leur dit qu'en un tel moment et fût-ce devant eux tous, elle ne pouvait taire l'amour qu'elle
portait à son époux et l'angoisse intolérable que son absence lui avait fait subir.
Puis, d'une voix exaltante, elle souhaita la
bienvenue à Agamemnon :
"Tu es notre sauvegarde, notre
défense la plus sûre".
"Ta vue nous est aussi douce que celle
de la terre au marin, après la tempête, ou un ruisseau limpide au voyageur assoiffé."
Il lui répondit, mais avec réserve, et
il se détourna pour entrer dans le palais.
Auparavant, il fit un geste vers la jeune fille, toujours
dans le char. Elle était Cassandre, fille de Priam, dit il à sa femme.
L'Armée lui en avait fait présent,
la fleur de toutes les femmes captives ; que Clytemnestre prenne soin d'elle et la traite avec honneur.
Sur ces mots, il franchit le seuil de la maison
et la porte se referma sur le mari et la femme.
Jamais plus elle ne se rouvrirait sur ce couple.
La foule s'était dispersée. Seuls les
vieillards attendaient encore, mal à l'aise, devant l'édifice silencieux et les portes muettes. La
princesse captive attira leur attention et ils la regardèrent avec curiosité. Son étrange
renommée était parvenue jusqu'à eux, celle d'une prophétesse que personne ne croyait
jamais, mais dont les événements justifiaient toujours les prédictions.
Elle tourna vers eux un visage horrifié
et demanda hagarde :
"Où l'a--t-on amenée
? quelle maison était ce donc ?"
Ils répondirent avec douceur que le
fils d'Atrée y demeurait.